jeudi 15 décembre 2022

L’absence d’Amour, ce n’est pas la haine de soi, c’est juste le vide.  

Je m'imagine parler à ma psy.
Régulièrement, pendant que je conduis, que je vais à je ne sais quel patelin perdu au fin fond de l'Est de la France, j'essaie de trouver des mots nouveaux. Ceux qui synthétiseraient parfaitement ce que je cherche à dire depuis pas mal d'années.
Les trucs que mon conscient passe sous silence. 

J'essaie de lui expliquer en imagination.
Ce n'est pas que je ne m’aime pas, vous voyez, c’est que c’est comme s’il n’y avait rien du tout. C’est comme si, juste, il n’y avait pas d’amour pour moi. En moi.

C’est comme si je percevait qu’il n’y avait pas du tout d’amour pour moi.

Et je ne le ressens pas comme une injustice. Ce n’est pas du tout une injustice. A mes yeux, je le justifie. Ça se justifie. Je le comprends.

Si je parle souvent de moi comme étant une erreur, avec une sensation simple de quelque chose de naturel, c’est parce que justement ça se justifie qu’il n’y a pas d’amour pour moi.

Pour moi ça se justifie dans le sens où, c’est comme ce mec qui s’est retrouvé à une soirée à laquelle il n’était pas invité – ce n’est pas lui qui s’est invité, mais il est là. Juste là, par le fait des circonstances, hein. Il est là, et il n’était pas invité. Les gens ne le détestent pas. Ils ne le connaissent pas. Mais ce mec gâche un peu tout.

A table tout le monde doit se pousser un peu pour lui faire de la place alors que tout était parfaitement sans lui. Le plan de table aurait été parfait, mais là, tout le plan de table doit un petit peu changer. On se pousse un peu mais la table n’est manifestement pas faite pour quelqu’un en plus. Les discussions auraient été super fluides, masi parce qu’ikl est là, ça ne fonctionne pas. Imperceptiblement, tous les aspects de cette soirée sont un peu gênés, gâchés, parce qu’il faut faire avec cette personne en plus. Personne ne se connaissait à cette soirée, mais tous se seraient parfaitement intégrés à tous les moments de la soirées. Aboslument tous les aspects de cette fête qui auraient été parfaitement imbriqués, tous les aspects sont gâchés… un petit peu gâchés.

<personne ne déteste ce mec là, personne ne le connait, mais tout le monde est un petit peu gêné, et a conscience que ça aurait pu être une soirée incroyable, mais que ce n’est pas le cas.

C’est une fête un petit peu gâchée, les plus honnêtes savent un petit peu pourquoi. Parce qu’il y a ce mec là. Et qu’on ne sait pas pourquoi il est là. On ne sait pas ce qu’il fait là. Et on sent que sans lui ça aurait été une fête formidable. Mais il gâche un peu tout.

J’ai l’impression d’être ce mec là dans l’existence. L’erreur.

 

Mais alors… tu sais, quand on parle « d’abomination » c’est un terme très injurieux, mais en même temps, c’est limpide, parce qu’une abomination, c’est vraiment le truc qui n’aurait pas du exister. Qui ne peut pas fonctionner dans le cycle de la Vie, le cycle spirituel, le cycle biologique de l’Existence. C’est quelque chose qui n’a pas de place et ne pourra pas être intégré. Il pourra être. Un temps. Mais seul, il finira de lui-même pas disparaitre sans laisser de trace, et la Vie déranger un instant dans son harmonie, reprendra le cour de son cycle. L’Abomination, c’est l’Erreur. Au sens le plus neutre et le plus objectif. Et en ce sens là, l’Abomination c’est quelque chose qui me va assez bien dans le contexte.

Du coup dans la distribution de l’Amour des trucs comme ça, j’étais pas dedans. C’est donc normal que ne n’en ai pas pour moi. Puisque moi je suis en trop. Et en ce sens là, il y a quelque chose de totalement vide en moi, pour moi.

Mais du coup, « vide » mais, étant un être humain malgré tout, je perçois bien d’une façon diffuse et sourde, je souffre un petit peu des implications de ce vide là. Malgré moi.

 

ET pour finir, il y a la chose qui vient asseoir tout ça, c’est que tout être humain que je suis, il y a le développement psycho-affectif qui se fait. Ce qui fait que, ce vide, on finit par le ressentir quand-même. Et on finit par l’interpréter, (avec le langage standard psycho-affectif qu’on a appris. C’est par là que vient sans doute le début de la mélancolie) on le ressent quand-même d’un point de vu psycho-affectif  comme quelque chose de terrible et d’apocalyptique. On le ressent comme un vide de quelque chose. De quelque chose qui devrait être plein, si on juge par notre référentiel aux autres. On perçoit que ça ne devrait pas être comme ça.

Et c’est à ce moment là qu’on se crée le mythe, qu’on se construit l’image de la « chose grave » qui a dû être, nous concernant, à un moment où on n’existait pas encore, masi qui nous concerne manifestement. IL y a une chose grave, qui fait qu’on paie pour quelque chose qu’on a fait. Cette soirée. Sans le vouloir. Avoir été présent à une soirée à laquelle on n’était pas invité. Avant notre commencement.

Cette responsabilité de faute inexcusable dont on n’a pas conscience (mais ce n’est pas parce qu’on en n’a pas conscience qu’elle n’est pas, et qu’on n’en ressent pas les effets) c’est grace au développement psycho-affectif, et la prise de conscience que cette absence d’amour finit par être justifiée par quelque chose.

Et c’est pour cette raison là qu’on ressent une culpabilité.

J'aimerais bien finir une séance en me disant que ça y est. Je sais pourquoi mon cerveau me dire que mon existence est une erreur. Et je lui dirais que, ok. C'est bon. Je n'ai plus besoin de revenir.

jeudi 8 avril 2021

la seule façon d'y voir clair, c'est depuis l'extérieur

 

Le truc c’est que tout est imbriqué. Alors si tu commences à parler d’une chose, tu es obligé de parler d’absolument tout.

Ou de ne parler d’absolument rien.

 

Ça m’a terrorisé ça. Tu te rends compte qu’il n’y a personne pour te dire « ça c’est vrai », « ça c’est faux ». Tu vois. Il n’y a aucune certitude. Rien qui puisse être démontré de façon palpable. Les philosophes ne me touchent pas, tu vois. Ils sont là entrain de t’expliquer à quel point ils démontrent que… mais c’est comme s’ils n’étaient pas touchés dans leur essence par leur propre démonstration. Je ne sais pas. Ou bien ils sont touchés par leur démonstration et ils ne peuvent pas comprendre ce que je veux dire. Parce que moi, ce n’est pas une vue de l’esprit que je te dis là. C’est une perception tout à fait essentielle de mon rapport à l’existence là.

 

Et alors… j’ai essayé. Déjà la psychologie m’a toujours intéressé. Parce que le monde depuis le début a quelque chose d’assez incompréhensible.

 

Déjà arriver à compartimenter les choses. Y a des gens, les choses… ils savent s’ils sont amoureux, ils savent s’ils veulent prendre telle ou telle décision, ils savent même avec certitude si elle sera bien pour eux, c’est un exemple hein. Faire des choix. Comme s’ils pouvaient isoler les répercutions qu’aura ce choix sur leur existence.

 

Pour moi, tout ça, ça se trouve dans une espèce de nébuleuse, comme ça… dense. Tu ne peux pas y mettre les mains. Tellement c’est dense, tu peux juste la prendre, comme ça, la faire tourner, pour regarder tout ce qu’il s’y passe. Mais tu n’as…

C’est exactement comme si tu regardais plein de films en même temps, tous qui s’entrecroisent, comme un million de destins reliés les uns aux autres. Et tout ça est si dense que tu ne peux voir que des extraits puisqu’en un coup d’œil tu balaies dix ou cent histoires, puisque si tu veux voir tout le film, alors il faudra que tu monopolises ta pensée uniquement sur ce point dans cette nébuleuse qui est devant toi.

 

Seulement… Il y a absolument tout le reste. Et je ne parle pas d’une multitude de point. Je parle d’une nébuleuse. Au sens d’une droite qui n’est pas constituée de « plein » de points mais est constituée d’une réelle infinité de points. Et dans cette nébuleuse, tu as une infinité de points.

Il n’y en a pas plein. Y en a une infinité. Et tout se passe en même temps.

 

Et alors tu te retrouves… Déjà, c’est quelque chose d’extrêmement angoissant d’appréhender l’existence comme ça parce que, depuis le début, tu commences ta vie avec cette saturation d’information dans ta perception. C’est exactement comme à la télé quand tu n’arrêtes pas de zapper. Tu ne comprends aucune émission parce que tu zappes sur toutes les chaines, les unes à côté des autres, pour avoir une vue d’ensemble de ce qui se passe à « la télé ». Tu ne peux pas comprendre une émission en particulier puisque tu n’arrêtes pas de zapper. Mais seulement tu sens bien qu’il se passe plein de choses autour de toi, et que les émissions continuent même quand tu as zappé.

 

Tu peux faire à la façon qu’on a d’imaginer un peu typiquement un autiste. Restreindre toute mon existence à un point en particulier pour le suivre de bout en bout.

Mais dans le monde réel la vie est tout autour. Je regarde plein de choses, je zappe. Du coup je ne comprends rien. Rien spécifiquement de tout ce que je regarde. Je ne connais pas les tenants, les aboutissants, je zappe sur toutes les émissions parce que c’est la vie autour de moi qui se passe et il faut bien que j’y prenne part. Et je reçois plein d’extraits d’émission devant les yeux et je peux m’arrêter sur aucune. Les gens font comme ça, donc moi aussi je fais comme ça – parce que dans le contexte, j’ai toujours vu tout le monde faire comme ça et je n’envisage pas un instant que ça puisse être foireux comme façon de faire – et me retrouve à rien comprendre, absolument, à tout ce qui est entrain de se passer. Et alors en plus j’essaie d’imiter le comportement des gens parce qu’ils ont l’air de savoir où ils vont. Et un jour…

 

Un jour, je vois qu’il y a des gens qui ont passé toute leurs… capacité, leur vie, leur potentiel, toute leur science à décortiquer tout ce truc-là. Et là je me dis que c’est merveilleux.

Y a des gens qui vont pouvoir, non pas m’expliquer tout ce que j’ai regardé, parce que ça c’set inhérent à ma propre existence, mais au moins, qui vont pouvoir m’expliquer pourquoi je me retrouve à avoir cette forme de fonctionnement, qui ne me semble pas du tout être adaptée.

C’est comme la promesse d’une libération, parce qu’avec ça, en quelque sorte, on te promet que tu y verras plus clair. Ça va te décortiquer les extraits d’émission pour que tu y trouves les règles.

 

Et puis, je me rends compte que dans le domaine des sciences humaine, il n’y a absolument aucune certitude. Ce n’est pas la science qui possèderait la caractéristique qui me rassurerait. Ce truc solide, immuable, et tangible. Ce n’est pas comme des maths.

C’est des « on croit », « on déduit ».

On croit, on déduit.

C’est ce que j’ai passé ma vie à faire. Avec mon entourage. Avec chacune des choses composant mon existence externe. Parce que je n’avais que des bouts d’émission. J’ai passé mon temps à déduire, seulement, avec toute la marge d’erreur, et j’en ai fait, qu’il peut y avoir.

Et là je me retrouve dans un domaine que j’adore, avec quelque part l’espoir d’un éclaircissement, dans lequel ils ont exactement le même fonctionnement.

La déception, à titre personnel.

Après, la psychologie, je trouve ça passionnant. Mais il y a quelque chose du registre de la quête existentielle, comme ça, qui s’est un peu envolé.

 

J’ai passé mon temps à déduire les choses. Sans aucune certitude. Tu commences dans la vie avec plein de questions sans aucune réponse.

Quand tu vois un nourrisson, tu comprends que tout son développement repose sur des certitudes. Un principe de causalité. Un truc qu’il répète pour l’assimiler et c’est comme ça qu’il l’enregistre et qu’il en fait une règle. « Ça c’est là ». « Quand ça, ça passe derrière, ça existe encore ».

En matière d’environnement humain, je me retrouve depuis longtemps à observer chaque scène sans pouvoir en extraire un seul principe de causalité. Parce que chaque scène est unique. Unique. Je n’ai donc absolument aucun enseignement à tirer de tout ce que j’observe. Je ne peux tirer aucune règle, aucun principe. Je peux juste observer un ensemble de questions sur ces choses dont je n’ai pas saisi le fonctionnement, s’accumuler. Comment un cerveau se construit dans un environnement de changement permanent ?

Dans le plus petit corpuscule distinctif qui constitue l’environnement, c’est un amas de choses incompréhensibles. Je vois bien que je ne parle pas la même langue que certaines personnes.

 

Et là, l’angoisse, oui, encore, parce que tu te dis que ta première impression était bien la bonne. Zapper, et ne voir qu’un bout d’émission, c’est foireux. Seulement tu as fait toute ta vie comme ça, et tu te retrouve avec un million de bout d’émission qui ne veulent rien dire, en sachant que chaque surinterprétation peut conduire à une erreur socialement délicate.

C’est vertigineux.

 

Une nébuleuse saturée d’extraits d’émissions dans lesquelles les gens n’arrêtent pas de s’interrompre.

C’est ce que je perçois de l’existence.

C’est peut-être pour ça que je ne suis pas expansif. Que je ne communique pas trop. Que je ne communique pas aisément sur mes émotions, sur machin, sur truc… Quand je rentrais de l’école, je ne racontais rien, souvent. Ce n’est pas parce que je suis secret. C’est parce que… par où commencer ?

Qu’est-ce qui mérite d’être raconté ? Qu’est-ce qui ne mérite pas d’être raconté ? Parce que tout ça, tout ça c’est ce qui constitue l’existence. Et distinguer une chose d’une autre pour raconter une chose et pas une autre, c’est un peu comme décréter que certaines choses qu’on arrive par ailleurs parfaitement à définir ne sont pas vraiment utiles dans l’existence.

Ça me fait un peu cet effet-là. Et je n’arrive pas. Mon cerveau n’arrive pas.

C’est un truc vertigineux.

mercredi 20 janvier 2021

Je sifflote

J’ai un peu la nausée en faisant mes courses. Je fais semblant que c’est à cause du café que j’ai bu trop vite.

Je fredonne cette petite chanson en même temps que je regrette d’avoir bu trop vite. Je me demande si je prends ou pas cette boite de céréal. Ils sont bons mais en ce moment je ne mange pas.

La lumière des néons dans le supermarché me met mal à l’aise.

Je marche d’un pas léger et je me concentre sur ma respiration.

Je fredonne.

« Même si tu m'as brisé le cœur.

Et m'a tué.

Et m'a mis en pièces.

Et jeté chaque morceau dans un feu. »

Je sifflote. Même si j’ai bu trop de café et que ça me tourne un peu le bide.

Lala lalala… des Knakies tiens. Mais je ne vais pas tarder.

Tu as laissé tellement de gens derrière toi. Des gens qui t’aimaient tellement plus que moi. Ou en tout cas qui t’aimaient mieux. En tout cas c’est ce que je me répète. Parce que chaque jour depuis deux ans presque je me dis que j’aurais pu répondre plus vite à ce texto que tu m’as envoyé.

Et depuis deux ans que je me chantonne cette petite musique j’ai enfin compris ce qu’elle racontait.

Depuis deux ans je sifflote avec un trou dans le ventre parce que je ne t’ai jamais entendu.

Un texto c’est pas long.

Comme j’ai bu mon café trop vite tout à l’heure j’ai le bide un peu en vrac. Parce que la date approche. Ou bien parce que c’est l’anniversaire des six mois. Ou bien parce que c’est la période un peu après ou un peu avant. Il y a toujours quelque chose à fêter pour célébrer joyeusement et en sifflottant le trou immense que tu m’as laissé dans le ventre.

En sifflotant l’air de rien. Des fois que quelqu'un regarderait et ne comprendrait pas qu’on peut être un peu mort juste de ne pas avoir répondu à un texto.

Et que maintenant c’est ce café qui me fait mal au bide. Parce que je ne mange pas assez.

Et je me demande bien comment je vais pouvoir dire un jour que pour moi tout est un peu fini depuis deux ans. Et je sifflote dans le supermarché.

Parce que je pense au trou que tu as laissé dans mon ventre. Et je suis à peu près sûr que tout est de ma faute.

Le plus dur c’est de ne pouvoir en parler à personne. Parce qu’entre toi et moi il n’y avait persone d’autres.

Alors que tu es une diva et que tout le monde devrait t’avoir connu pour se rendre compte.

Et moi je faisais comme si de rien n’était.

Parfois je vais te voir pour me faire du bien. Et j’aimerais bien qu’il y ait quelque chose après. Mais je ne réfléchit jamais longtemps à cette question. Parce qu’en fait je me dis toutjours que tout ça c’est une blague. Et qu’un jour des gens vont venir et me dire que tu attends derrière la porte. Parce que tout ça c’était un canulard.

C’est facile de croire à une blague quand la seule chose qu’on a reçu c’est un message faisant part de ton départ. Pas de jour précis. Une approximation « il y a quinze jours ». C’est une façon de parler ?

Sur la plaque il n’y a que l’année. Et personne pour me dire. Parce que je n’ai pas répondu à ton message. Et que j’ai manqué beaucoup de chose.

Alors je viens. Avec une bière parfois. Et je ne comprends rien. Mais c’est pas grave parce qu’un jour tu m’attendras derrière la porte et tout ira bien. Et je pleurerais parce que je serais content de te voir.

Je rentre des courses et je conduis relaxe. Parce que je me dis que tout ira bien un jour quand j’ouvrirais la porte. 

 je suis triste et je n'ai pas faim en attendant. 

samedi 4 avril 2020

Ce matin était un beau matin


Cette nuit, j'ai eu l'immense bonheur de te voir.
Tu as occupé toute ma nuit. Comme toujours. 


* * *


Dans le premier rêve, je suis en compagnie de ce collègue du conservatoire avec qui on travaillait le sax. Un alto, pour lui, et ténor pour moi ("le vrai" comme disent les ténors...). Dans un endroit un peu indéterminé. 
Je suis étonné de le voir, qu'on soit dans cette situation. Ça me fait plaisir. J'échange quelques mots avec mon collègue, je lui explique pourquoi j'ai quitté le conservatoire. 

Je sais que tu es là quand, alors qu'on doit tous partir vers un autre quelque part, on me demande si c'est moi qui veux à tout prix "en avoir un". Un autre précise que "non c'est elle, avec lui".
Les souvenirs de cette scène sont confus et il semble que je change instantannément de temps et de lieu.

Nous sommes sur le bord d'un lit un peu mal foutu. Tu es dans mes bras. Il me faut un instant pour réaliser. J'ai un mouvement de recule intérieur, comme celui guidé par une joie incrédule qui en fait donne envie d'avancer en courant vers l'autre.

Je comprends, il me semble, que je rêve. J'ai souvent été dans ce type de situation. Quand je rêve de toi, j'ai toujours ce sentiment d'en avoir conscience. Comme si mon corps réel me faisais ce cadeau de me le dire pour me permettre d'en profiter plainement. 

Immédiatement, sans trop avoir l'air pour que les choses se passent normalement et ne pas t'effrayer, je te sers contre moi raisonnablement. Raisonnablement, alors que sous ma peau, j'ai envie de te serrer comme pour t'écraser contre moi, comme si cette fois je pouvais te retenir. 
T'empêcher de repartir. 

Je me hais de faire ça maintenant que tout est trop tard, je goute encore une fois à l'absurdité de toute ces choses aujourd'hui, puisque je suis là dans un rêve à essayer désespérément de rattraper quelque chose que je n'ai pas fait quand je le pouvais.  
Je te sers contre moi, encore, mais raisonnablement, pour ne pas t'inquiéter. La joie que je ressens m'étouffe comme toujours de cette joie délicieuse d'avoir un moment, même minuscule, même dans un rêve, avec toi. une joie immense de toute ces choses qui n'ont pas de prix.

On échange quelques mots, d'une douceur qui ne dit pas son nom. 
Tu me souris et moi aussi je te souris. Alors même que je sais que tu ne comprendras peut-être pas la profondeur de ce sourire. Alors je me contiens pour ne pas te faire peur. 

D'un regard ou en pensée je te questionne sur le mal que je t'ai fait, ou celui qu'on s'est fait, je ne sais pas très bien.
Tu me montre ta vulve, elle est cousu. Tu souris. Comme si tu avais tiré un trait sur tout ça. Sur toute cette souffrance que tu as endurée à cause de moi. Sur toute cette partie désirante de toi. Et tu me réponds avec un sourire rassurant "non, c'est bon, ne t'inquiètes pas". Cette douceur dans la voix que tu as toujours... Je suis heureux de l'entendre elle aussi.
Je m'arrête un instant sur la douleur que je ressens quand tu me montre ta vulve cousue. Je te dis que… je suis très triste qu'il ait fallu en arriver là pour qu'il n'y ait "plus de problèmes". Cette formule nébuleuse et fuyante, je ne l'aime pas. Mais tu es dans un rêve, et je ne sais pas si tu sais à cet instant, tout ce qui s'est passé, et je cherche des mots qui ne te rappelleront pas comme je t'ai blessé.
J'ai à cet instant bien conscience de n'avoir rien eu à payer de mon corps pour tout ça… et ce n'est pas juste...
Comme j'ai conscience que le temps avec toi m'est compté, j'ajoute que je suis tout de même "très content de te voir…". Je te le dis parce que je ne perdrais plus un seul instant à ne pas te le dire. 

"... mais je suis content de te voir". 

Je t'étreins encore, comme si j'allais te faire mal. Comme une louve qui retrouverait un de ses enfants perdus. Et je ne dis rien.
Je compte chaque instant et celui qui suit, et celui d'après… je vais les compter, chacun d'eux, jusqu'à ce que le rêve s'arrête.
Et puis le rêve change.

* * *

Je me suis mis à pleurer.
Je suis devant la vitre où je regarde cet enfant qui n'est pas de moi et je commence à pleurer. 
Ce nourrisson derrière la vitre c'est un peu de toi et parce que un peu de toi, c'est tout le reste de toi qui n'est pas là, je pose ma main contre la vitre et je pleure.

Je vois ton compagnon arriver avec votre fille, pour venir voir l'enfant. Je m'efface rapidement, par égard pour lui, qui t'a perdu aussi, et a qui tu as un moment de ta vie tournée un peu le dos pour me donner à moi ce que je n'ai pas su prendre. 
Il me voit au loin avant que j'ai fui pour les laisser tranquille. Je crois même qu'il m'a souris, chaleureusement. Je les laisse seuls, je suis envieux, parce qu'ils vont avoir, eux, ce bout de toi, derrière la vitre. 

Je viens d'entrer rapidement dans ce qui semblait être une crèche, pour me cacher, je m'assois sur une de ces petites chaises, m'allonge sur une des tables, très basse, à la taille des enfants. Et je continue à pleurer.

Tu me manques, et je te demandes comme pour t'invectiver entre deux sanglots pourquoi tu es partie. Comme si je cherchais à te reprocher quelque chose. Alors que tu me manques et que je regrette.

Et puis, ce trou béant dans mon ventre. Celui que j'ai tous les jours. 
Je pleure sans m'arrêter. 


Et comme cela arrive à chaque fois que tu m'as fais le bonheur de venir me voir pendant mon sommeil, au réveil, après avoir passé un rêve dans le bonheur de ta présence, et un rêve à pleurer ton absence - mon cerveau psychorigide et sa façon très ordonnée de me rappeler ce que nous avons vécu - alors que le jour est levé et que je me répète les souvenirs de ces rêves, je pleure à nouveau, le matin.

En vrai cette fois.
Parce que le corps n'en a pas fini de dire tout mon chagrin d'après ton départ.